Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 5 décembre 2023

Ce qui a changé avec le temps, c'est que j'en suis venu à penser que personne n'a plus besoin de mon aide. Je suis plus déterministe. Je ne crois plus qu'il est aussi facile aux gens de changer, donc je ne me mêle pas de les «aider». Les gens sont comme ils sont, et il serait très fastidieux de savoir pourquoi, parce qu'eux-mêmes ne le savent même pas. Un million de facteurs nous définissent, peut-être davantage. En ce qui me concerne, je ne suis plus très intéressé à essayer de convaincre des pierres, des bouts de bois et des flaques d'eau. Je m'en crisse. Qu'ils aillent tous se faire foutre.

Je vois la sexualité au loin, comme un horizon, et le soleil est souvent couchant. Après quelques secondes, ça disparaît de mon esprit, et c'est pas bon signe. Avant, ça m'énervait, oui, cette insistance effrontée du sexe. Et je voulais m'en débarrasser. Maintenant je sens que j'ai atteint le fond du baril de testostérone. Les belles femmes ne me donnent plus de coup dans la queue. Je me fait penser à un vieillard fini. Je les regarde au loin, comme de beaux objets précieux inaccessibles, l'aventure ne me tente plus. Et pourtant.

Le temps a avancé trop vite. Et j'ai perdu beaucoup de temps. Toutes les fois où j'ai refusé ou dit «non» ou ignoré une belle femme, aujourd'hui je m'en repens. Que pensais-je donc? Que j'allais être éternellement beau et en forme? On dirait. On pourrait dire. C'est ça la jeunesse et la forme: c'est une illusion. L'illusion de penser que tout cela va durer très longtemps. Tellement longtemps qu'on n'en voit pas le bout. Et un jour, on est de l'autre côté du tunnel. On est passé dans le bout directement, sans s'en apercevoir, et ça fait chier, oui. Je me suis rendu compte du jour au lendemain que j'étais vieux, et depuis, ça ne me lâche plus. C'est tous les jours. À chaque jour je frappe la cinquantaine bien tassée. Un survivant, on va dire, oui, mais quand même. J'aurais préféré ne pas me rendre jusque-là. C'est d'ailleurs un accident, parce que rien ne devait se dérouler de cette façon. Je devais mourir quelque part dans la vingtaine, et ça n'a pas eu lieu. En tous cas, pas jusqu'au bout.

Maintenant, paradoxalement, alors que je souffre et que tout est morne, je tiens à la vie... C'est con la vie. Mais vraiment. Crois en ci, croit en ça, nous nageons dans nos propres rêves, et qu'est-ce que ça va changer au bout du compte? Pourquoi personne ne croit qu'il va aller vivre sur Saturne ou Jupiter une fois mort? Parce que ça ne semble pas très intéressant? Et pourtant, c'est à ça que ressemble l'univers qui nous entoure, c'est ça partout! Mais tout le monde croit autrement. En réalité, personne ne voit la réalité. Tout un chacun ne voit que sa propre réalité à lui, ce qu'il croit, son monde à lui. Et il n'a pas le choix. Nous n'avons pas le choix, parce que nous ne pouvons pas savoir le but de notre présence sur terre: nous pouvons seulement le deviner. Oui, c'est ça, nous l'avons sur le bout de la langue! mais ça ne vient jamais vraiment. C'est un mot qui nous reste pris finalement dans le fond de la gorge, et ça nous étouffe, mais puisque c'est un mot, on n'en meurt pas, on vivote.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire