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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

vendredi 30 septembre 2022

Le Livre des Mille Pensées 3

11. Je n'ai jamais eu de filtre. J'ai toujours parlé aux gens comme s'ils étaient des amis proches, et cela m'a toujours attiré des problèmes. J'ai alors l'air de manquer de jugement, alors que je dis des choses que je ne devrais pas, des choses qui relèvent d'une certaine intimité parfois. La vérité, c'est que je m'en fous totalement. Je dis ce qui me plais de dire à ce moment-là, ou plutôt, j'exprime souvent mon insatisfaction, par exemple, dans un travail qui m'emmerde, en disant des choses qui dérangent, car rester dans un cadre professionnel, comme dans une camisole de force, m'a toujours totalement emmerdé. Je ne suis pas né pour être une fonction, ou tel personnage, mais un être humain, avant de mourir. Les gens riront tant qu'ils voudront, ils vont mourir aussi un jour. Pour l'instant, qu'ils s'amusent comme des petits fous à ne pas être eux-mêmes, ce sont eux qui perdent leur temps, leur vie, et leur être. S'ils étaient un peu moins cons, on n'aurait pas besoin de tous se jouer la comédie du bonheur et du standing. On n'aurait pas besoin non plus d'autant travailler dans des jobs de merde.

12. Le secret freine le progrès.

19 août 2022

13. Je me sens chaque jour vaincu davantage. Vaincu dans le temps, l'argent, et maintenant aussi, l'espace. Je touche à toutes les limites et veux les éclater et ensuite m'éclater moi-même. Je sais que tout cela n'est pas rationnel, mais quand je gagne du temps, je ne suis pas plus heureux que quand j'en perds; l'argent, je la dépense comme si j'allais crever demain; et que j'achète des livres ou que je n'en achète pas, cela me rend malheureux, car ça me rappelle ma condition de mortel, et que je ne pourrai pas tout lire, tout savoir. Acheter un livre me ramène aux limites du temps, de l'argent, et de l'espace. Ne pas en acheter brime de façon absolument intolérable ma curiosité. Dans les deux cas, je suis malheureux, mais un peu moins si je me permets le plaisir immédiat d'un nouveau livre. C'est la suite qui me tue, et il est vrai que je ne devrais pas en tenir compte, mais cela aussi est presque impossible. Même si j'étais riche et que je possédais des espaces illimités pour ranger mes livres, je serais encore davantage frappé par le peu de temps qu'il me reste encore à vivre, et donc mon impuissance totale. Il est normal que je sois vaincu, car nous le sommes tous, mais pourquoi dois-je l'éprouver tous les jours de ma vie? C'est cela qui me rend fou et me tue.

14. Il y a donc longtemps de tous ces souvenirs, alors que maintenant, mes organes sont défaillants. La vie défaille en moi.

15. Tous les âges ont leurs imperfections. Je suis jeune, il me manque la maturité; je suis d'âge mûr, il me manque la jeunesse. Je suis vieux, il me manque tout et rien.

16. Comment peut-on faire pour voir tout en positif et ne pas être fou? Et comment faire pour ne pas voir tout en négatif et ne pas devenir fou?

17. Il est terrible de penser qu'on n'aura été qu'une fonction toute sa vie. Qu'une mécanique toute sa vie...

18. Il n'y a rien d'anormal à vivre, mais rien de normal non plus... Vivre n'est surtout pas «normal» en tout cas, si on regarde un peu le cosmos qui nous entoure... Nous vivons dans les extrêmes: ici, tout est vie, ailleurs, il y a nulle vie. Pourquoi ici? Pourquoi nous? C'est à devenir fou.

19. J'ai souvent envie de mourir ou de disparaître en quelque sorte, mais je ne suis capable ni de vivre ni de mourir. Je désespère, c'est tout. Je tombe dans un trou, et puis ça passe plus ou moins, puis j'oublis, puis c'est reporté à plus tard, souvent au lendemain. La seule chose qui puisse me soulager, c'est la musique et l'écriture, mais parfois j'y arrive trop tard et suis déjà trop enfoncé, et je m'abîme en quelque sorte dans le néant, ma pensée, ma parole défaillent puis s'éteignent. Je deviens une roche, une épave, un «message d'erreur». Je me couche et j'attends que ça passe. Je suis dépassé par ma propre annulation.

20. On dirait que je ne digère rien. Quand je scrute mes sentiments, je veux toujours et encore éliminer ceux qui m'ont fait du mal, malgré toutes les torsions et les tentatives d'apaisement que j'ai fait subir à mon esprit, même la religion n'y peut rien et rien ne peut enlever de mon esprit que ces personnes sont de la merde sur deux pattes et qu'ils méritent de crever salement. Rien ne peut changer ce que je pense de ces gens, et pourtant, il doit y avoir rationnellement du bien à penser d'eux aussi, et du mal à penser de moi. Ainsi je tourne en rond, et me trouve idiot. C'est comme une part animale de moi-même que je dois tenir en garde. Je me dis qu'il y a quelque chose de plus haut, et qui mérite davantage mon attention. C'est de cette façon que je passe «par-dessus» ma rage. Je la réinvestis ailleurs, dans les choses que j'aime, car je dois avant tout m'occuper de faire mon œuvre sur cette terre.

21. Il m'est arrivé de penser que si j'étais certain de pouvoir me venger sans conséquence pour moi, je le ferais. Mais comment en être certain, c'est ce qui est impossible! Le pire, c'est que déjà, penser de cette façon, par calcul, c'est être autant coupable que la personne dont on veut se venger! Et pourtant! On sent qu'il y a une injustice à ne pas réparer le tort qui nous a été fait... J'en ferais autant pour un autre! Je dois rester rationnel en tout cela et attendre patiemment que mon esprit trouve une solution. Je ne pourrais pas me réduire à tuer une personne, cela me rabaisserait à mes yeux, comme aux yeux des autres. Je ne tiens pas à devenir un monstre. Je dois plutôt tenter d'oublier, tout faire pour essuyer la faute, afin, surtout, de ne jamais laisser l'occasion à l'autre de confirmer tout le mal qu'il pense de moi, et que le mal qu'il m'a fait, s'il le pense encore, revienne sur lui plutôt. Jamais je n'accepterais de confirmer la mauvaise idée que mon ennemi se fait de moi, jamais je ne lui donnerais cette satisfaction, cette victoire. On dira que j'ai du ressentiment: oui j'en ai. Mais je travaille dessus, oui, sur cette saloperie dont on aime me badigeonner par haine, par jalousie, par petitesse et mesquinerie, par étroitesse d'esprit et manque de générosité, et surtout manque de bonté et d'intelligence. Ces gens méritent peut-être de se faire mettre le nez dans leur merde, mais c'est tout, et encore, le mieux est de pardonner, si l'on est encore assez fort pour ça. Être fort, c'est être capable de pardonner. On ne tiendrait pas autant rigueur à un chien qui nous a mordu. Seuls les faibles et le vulgaire veulent rendre le mal pour le mal. La noblesse exige la hauteur d'âme et une certaine concorde et conciliation. Ceux qui ne s'en montrent pas dignes, sont indignes comme les autres. Ces choses sont rares et difficiles, peu en sont capables. Les métaux précieux n'abondent pas, s'ils l'étaient, ils ne seraient pas précieux. L'excellence est nécessairement inhabituelle. La haute valeur, légendaire.

22. Ce qui me contrarie le plus dans la vie, c'est lorsque ma pensée est toujours «ailleurs»... Je veux être «là», mais suis incapable de l'être, Ma pensée «glisse» sur tout... Elle glisse constamment vers rien.

23. Je ne suis plus moi-même, je suis n'importe quoi, un autre. Cela fait longtemps que j'ai perdu la clé qui mène à moi, à celui que je suis. J'ai voulu mourir dès le départ, je me suis manqué dans ma vingtaine, mais je suis mort autrement. Je suis mort par néantisation. J'ai avalé un trou noir. J'ai avalé ma mort. La mort est belle comme la vie. Seule la Folie mérite l'attention. Car ce qui se trouve là-dedans est l'Incompréhensible, et surtout, l'Inimaginable, la Terreur et le Vertige. Le «Ne plus» est. J'ai l'être éternel sous forme de néant. Seul le néant est véritable et éternel, tout tend vers lui. Ce néant est une sorte d'antimonde ou d'antilogique, c'est l'envers de tout ce qui est possiblement imaginable, par sa réduction au «moins que rien». 

24. Lorsque j'arrive à créer, à écrire, je suis progressivement satisfais de tout, et je ne sais pourquoi. On dirait que j'arrive à exprimer ce qui est en moi, et ce seul fait, même si c'est entièrement déprimant ou négatif, me rend heureux, comme plein de moi-même, je me centre, je me sens réalisé. Hegel avait raison: il faut que l'intériorité s'extériorise. C'est ma destinée, mon but dans la vie. D'exprimer tout ce que j'ai à l'intérieur de moi, afin de mieux me comprendre, moi et le monde.

25. Ma maladie, c'est la curiosité. C'est la maladie de ma vie, et de ta vie. Nous voulons tous découvrir la vérité n'est-ce pas?

26. Si l'homme est capable de savoir entièrement ce qu'est la «connaissance», il sera définitivement une machine.

27. Si la conscience est en partie l'attention à un certain champ de la réalité, nous avons déjà là une définition plus éclairante de la conscience que celle qui dit qu'elle est conscience de «tout». Elle n'est pas conscience de tout, mais du «Tout». Cela implique l'existence de choses dont elle n'est pas consciente. La conscience n'est donc pas «entièrement» consciente. Elle est mécanique et limitée, mais s'il est possible de réaliser cela, il lui est possible de se dépasser infiniment, et le «dans quel but» devient inutile, car c'est la volonté de toujours être «plus», nous sommes Dieu. Nous sommes tous Un, dans la vie, dans la mort, pour l'éternité.

28. L'Éternité est le seul être possible. Que ce soit l'éternité de l'être ou du néant. Il n'y a pas de fin à la matière.

29. Nous sommes là pour une fin que nous ignorons. N'est-ce pas plus mal que l'animal qui n'a pas conscience de son existence?

30. Être soi-même, c'est vouloir être «tel que l'on est».

31. Plus que jamais, la Mort est présente à ma conscience. Je sais qu'elle est là, qu'elle me lèche déjà. Jamais je n'y aurais cru... Je croyais, moi, aux Élohim et à la vie éternelle. Tout ça a disparu. Il ne me reste rien. Je n'ai aucune hypothèse solide sur quoi que ce soit. Je veux bien ne croire en rien, mais je sais qu'il y a plus. Je le sens. Mais quelle est cette vérité? Je ne le sais pas très bien. Je crois cependant qu'elle est très différente de tout ce qu'on s'est imaginé jusqu'à présent, qu'elle sera très surprenante même. Une belle surprise.

32. J'ai conscience que je dois sauver ma vie. Mais comment? Que veut dire «sauver»?

33. Comment décrire toute la beauté que je vois à l'extérieur? C'est impossible d'en faire le tour!

34. L'amour naît fatalement et meurt tragiquement, et nous n'avons aucun pouvoir là-dessus, sauf pour ceux qui se sont déjà trouvés.

35. Le «digne de rester» devient sans intérêt, insignifiant. Est-ce un signe du temps? Que la vérité soit nulle part?

36. Qu'est l'homme pour prétendre à la Vérité? Les écrits sacrés ne servent à rien, sa seule existence suffit.

37. Le Saint-Esprit existe vraiment, mais Dieu, c'est Nous. Nous sommes Dieu. Nous sommes tout ce que nous voulons.

38. La conscience sauve tout ce qui peut exister. L'Éternité est inscrite dans la Conscience.

39. Dieu, je te demande de tout mon être d'acquérir le pouvoir mystique, et privilégié entre tous, de te révéler.

40. La religion évoque l'existence d'un gouvernement extérieur. Y a-t-il un gouvernement ultime?

41. Le Christ en mourant sur la croix et en ressuscitant a appris aux hommes la Résilience.

42. La Sainteté est la Valeurs des valeurs. Le mystique est Celui qui saisit l'Insaisissable.

43. L'Insaisissable est l'Image qui vaut mille mots.

44. Que sait-on vraiment de la mort pour l'appeler la «mort»?

45. Vous «pensez vivre», mais vous ne savez ce qu'est la «pensée» ni ce qu'est la «vie». Comment expliquer cela?

46. Les «surconscients» savent qu'il est de plus en plus difficile aux autres êtres de prendre conscience, mais que font-ils de cela?

47. Je ne comprends pas mon esprit. Mon esprit n'est pas ce que je crois. Mon esprit est Entièreté. Je suis Entièreté, je suis le Tout.

48. Lorsque tu mourras, ce sera ta vie, et tu ne pourras en rien faire de plus, jusqu'à ce que même le souvenir de ta personne s'efface, puis ce sera comme si tu n'avais jamais existé. Nous sommes coincés dans une trame, dans un narratif, mais même ce narratif s'efface... Comme si l'histoire ne devait être écrite que d'une seule façon, puis son écho, telle une mélodie, mourir dans le lointain...

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