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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 21 février 2018

L'autosuffisance des amoureux

Je revenais hier soir de mon examen de maths, qui a d'ailleurs été catastrophique, et j'avais devant moi un couple, qui marchait cahin-caha sur le trottoir glacé, et il m'est venu une intuition, naïve certes, mais que je devais écrire: «le couple est autosuffisant».

Deux amoureux sont comme deux infinis qui se rencontrent: ils sont pleins l'un de l'autre, ils n'ont pas besoin d'autre chose, ils sont tout l'un pour l'autre, ils sont autosuffisants.

Je percevais cela par contraste avec moi qui s'en revenait dépité de mon examen de maths, que je n'avais nullement l'obligation de faire, que je faisais, en fait, par pur plaisir et curiosité scientifique, et j'avais devant moi ce couple, main dans la main, qui ne courait après rien, après aucun désir de satisfaction scientifique ou autre, mais qui semblait plutôt s'autosuffire.

C'est une presque illusion, bien sûr, car la réalité est beaucoup plus complexe que cela, mais c'est néanmoins ce que les amoureux aimeraient, en fait, être l'un pour l'autre, pour toujours.

Malheureusement, comme nous le savons et pouvons le constater facilement, ce n'est pas possible. Les êtres sont presque toujours remplis, à un moment donné ou un autre, par des désirs différents de l'être aimé, par des désirs perturbateurs du couple, qui viennent diluer et défaire tranquillement, travailler comme de l'intérieur, user, l'«union originelle».

Disons que dans l'absolu, les amoureux sont autosuffisants, l'espace d'un certain temps, comme dans un microclimat, mais que bien vite, des perturbations, qui semblent extérieures, viennent déranger cette union à la fois paisible, parfaite, intense et érotique, et en diminuer le plaisir et la satisfaction.

Chaque nouveau couple est comme le premier couple de l'humanité. Chaque nouveau couple réalise l'amour à nouveau, comme si c'était la première fois.

Ils pourraient ne pas avoir d'autre chose à faire que de s'aimer l'un l'autre, et ce serait bien comme ça.

Mais, comme on dit, le ver est déjà dans le fruit...

Et le serpent de la Genèse n'est probablement rien d'autre que ce maudit ver malfaisant, qui sera la cause indirecte de l'expulsion du Paradis, autrement dit, de la fin de l'autosuffisance des amoureux...

Ce que cette histoire nous dit, c'est que pour rester au Paradis, il ne faut désirer rien d'autre que l'être aimé, ou inversement que lorsque nous ne désirons rien d'autre que l'être aimé, nous sommes au Paradis, dans un état de satisfaction complète, pleine et entière.

Pour le malheur, ou le bonheur, des amoureux, le ver représente en quelque sorte l'infini: si deux infinis ont un appétit l'un de l'autre, ils sont aussi, entre autres, une volonté infinie, et une volonté de nouveauté infinie, ils sont donc, en tant qu'infinis, insatiables.

Les nouveaux couples pensent donc toujours naïvement être tout l'un pour l'autre, jusqu'à ce que le ver se présente, et leur fait connaître leur véritable nature...

En effet, l'infini ne peut vouloir que de l'infini, à l'infini.

Le paradoxe de l'être humain, et au final, son malheur, c'est qu'il veut de l'infini, dans un corps fini, mortel.

C'est pourquoi il cherchera toujours à limiter l'infini, à le rendre fini, compréhensible par l'intellect, contrôlable, maîtrisable, comptable, ce qui sera toujours, bien entendu, un échec, car l'amour, comme l'infini, ne peut être possédé, ne peut être une «possession», comme les biens dans le capitalisme: il échappe, et s'échappe toujours, éternellement.

Ceci expliquerait peut-être pourquoi Dieu, ou le Principe Premier, est pensé comme Intellect.

Le ver, qui représente l'Infini (le serpent se mord la queue), qui est le «Diable», le «Principe Mauvais», est en quelque sorte l'antithèse de l'Intellect.

Ce que l'intellect ne peut comprendre, c'est l'infini, qui est alors vu comme «mauvais», «néfaste».

C'est pourquoi l'infini est vu comme un ver, qui vient tout miner de l'intérieur.

Et c'est pourquoi nous sommes tant obsédés par la Pomme, qui représente les biens matériels.

Par compensation, nous essayons de combler notre appétit de l'infini avec des biens matériels, ce qui sera aussi, à la fin, un échec total.

Le seul infini désirable, est l'infini lui-même, en chacun de nous.

Je dois aimer l'autre en tant qu'infini, et non en tant qu'«être humain», ou être mortel, fini.

Nous ne sommes pas ce que nous croyons, percevons, et pensons, mais infiniment plus que cela...

Par essence, toujours plus...

Un jeu amoureux infini...


FIN

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