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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

dimanche 14 juillet 2024

La vérité facile ou la doxa

La vérité suppose que nous pouvons savoir. Mais cette supposition est fondée sur quoi, sinon sur la croyance que le monde est «rationnel»? La raison ne peut «savoir» que le monde est infini, mais elle suppose que le monde est infini, qu'il devrait être infini. De la même façon, nous ne pouvons que dire sur nos origines que ceci ou cela devrait être la vérité, mais jamais que c'est la vérité. Il y a toujours un écart possible, un égarement potentiel.

La vérité facile arrive entre l'enfance et 40 ans. Après 40 ans, on commence généralement à douter de tout. À 50, on ne croit plus à rien, voilà. Il n'y a plus rien de sûr, de solide, de stable, de certain. Toute forme de solidité ou de permanence s'est avérée un mirage, une illusion incompréhensible. Tout vient alors à être remis en jeu par défi, et on perd tout, sans grande surprise. Mais le désarroi nous poigne à la gorge, le sol s'écroule sous nos pieds.

Plus nous en apprenons sur l'Univers, plus il paraît étrange, inhabituel. Se pourrait-il qu'il ne soit rien de ce que nous pensons de lui? De même, se peut-il que nous ne soyons rien de ce que nous pensons de nous-mêmes? Que cela ne nous ait encore jamais même effleuré l'esprit?

Se peut-il que nous ne sachions rien de la vérité?

Généralement, toutes les «vérités» qui farcissent notre esprit sont des vérités faciles, et plus elles sont faciles, plus elles durent longtemps. Elles appartiennent malheureusement toutes à la doxa.

lundi 8 juillet 2024

Des drôles de journées

Les jours sont bizarres de ces temps-ci. Je réfléchis à beaucoup de choses, comme je peux, quand je peux. Je lis différents livres, donc différentes réflexions me viennent en tête au cours d'une journée, voir d'une heure de la journée. Je m'intéresse à Guyotat, tellement, que je viens de me commander tout ce qu'il me restait à acheter de lui et sur lui. Je l'ai écouté parler dans une vidéo sur YouTube intitulée «Pierre Guyotat, 52 minutes dans la langue», et j'ai été impressionné par le type lorsqu'il parle de sa vie et de son rapport à l'écriture, de même de la façon dont il en parle. Après ça, je me suis dit qu'il fallait que je me remette à écrire. Jusqu'à maintenant, je n'ai pas réussi à percer le mystère Guyotat. Je n'ai pas beaucoup lu, mais c'est parce que je me suis découragé un peu. À première vue, ça a l'air de n'importe quoi, mais je sais que ce sont des oeuvres «savantes». Le pire dans ce genre pourrait être le Finnegans Wake de Joyce, constitué du mélange d'une soixantaine de langues. Joyce disait lui-même que c'était un livre pour les érudits. Il avait planché là-dessus pendant plusieurs décennies, donc il est facile de comprendre que l'oeuvre pourrait ne pas être facile à comprendre, vu la richesse et la profondeur du contenu. Idem pour Guyotat. Je ne méprise pas les choses que je n'arrive pas à comprendre du premier coup. Je me dis que j'ai besoin de plus de travail, et donc je suis patient, je creuse. J'essaie d'acquérir la vue d'ensemble qui me permettra de trouver la clé.

Différentes réflexions me sont venues en tête après avoir vu certains documentaires sur Netflix, dont dernièrement Madoff et Apocalypse à Waco. C'est une grande réflexion en quelque sorte sur la crédulité et les arnaqueurs. J'ai toujours trouvé horrible que Jésus ait été finalement crucifié. Cependant, une nouvelle pensée est surgie dans mon esprit: se peut-il que cela fut la seule solution possible? S'il n'y a pas de Dieu, ces «prophètes» ne sont finalement que des agitateurs qui viennent foutre le bordel dans la société et entraîner une sorte de fanatisme. Se peut-il que sa mise à mort ait été finalement la bonne chose à faire? - Je le crois de plus en plus. Les prophètes seront toujours, dans la mesure du possible, écrasés par le pouvoir en place. Car si le prophète prend trop de pouvoir, il devient dangereux. Et comme on le voit presque toujours, dès qu'un individu d'un groupe «religieux» prend trop de pouvoir, il abuse de son pouvoir, et cela se termine en abus de toute sorte. Tous les gourous y parviennent un jour ou l'autre. Et s'il y a eu des «envoyés», leur message a été très vite déformés par les hommes, au point de virer en son contraire ou presque. Le vide que tout cela laisse dans mon esprit est proprement terrifiant. Si je ne peux croire en rien, ni me fier à personne, et que tout ce que les gens considèrent comme «sacré» n'est finalement que supercherie, manipulation, mensonge, vers qui ou quoi puis-je me tourner? C'est terrible. Je fais table rase de toutes mes croyances ou presque et je me retrouve comme avec un lavage de cerveau à l'envers. C'est pour cela que je me sens bizarre, et que les journées sont aussi bizarres. Tout cela ne se passe qu'entre mes deux oreilles, mais c'est quand même terrible, foudroyant. Par moments, je crois que je suis en train de frôler les frontières de la folie. Le Journal en miettes de Ionesco illustre bien ce qui me passe par la tête. Dans une seconde d'illumination, je n'arrive pas à croire que je suis encore là et que je suis encore moi-même. J'essaie de m'imaginer comment c'est de l'autre côté de la vie, et pour l'instant, je n'ai encore trouvé rien de cohérent. C'est que face à l'infini, rien ne peut tenir debout. Tout homme est vaincu d'avance, et je dirais même, toute forme de vie. Quand même je serais un extra-terrestre éternel voyageant dans son vaisseau intergalactique, quel est le sens de tout cela merde? Impossible d'en trouver un. Le seul réconfort que j'ai eu aujourd'hui m'a été procuré par un petit verre de rhum sur l'heure du midi, avant de retourner travailler. J'en avais besoin. Je le sentais. La bouteille neuve était dans mon frigo depuis quelques jours. Je me suis payé un rhum cher et de qualité, dans l'intention justement de le boire sur le long temps et à petites gorgées. De savourer le plaisir de cette excellence, de ce petit luxe merveilleux. Cela m'a fait du bien à l'esprit, mais a réveillé aussi mon mal de dos. On ne peut pas tout avoir. J'ai senti une certaine fatigue à un moment donné, mais une chance que cela n'est pas allé jusqu'au découragement, car je devais continuer à travailler. Ça a néanmoins eu l'effet attendu: j'ai perdu la sorte de morosité mentale que me tenaillait depuis des jours. Je n'en étais plus capable. Je devais trouver un moyen extérieur de me brasser un peu les neurones, de me stimuler, mais dans un autre sens que le café mettons. Par contre, cet effet de l'alcool ne dure pas. L'expérience n'est pas répétable à volonté, il faut attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant d'en reprendre pour avoir le même effet.

Entleka.

Je poursuis ma quête de la beat generation avec Jack Kerouac et ses complices. Je lis un livre sur le mythe de la contre-culture (Joseph Heath et Andrew Potter), extrêment instructif. J'essaie de faire le tour de Kerouac, car je l'aime beaucoup, je m'identifie même à lui. Je vois des parallèles, et j'en cherche aussi. Je continue même à penser que j'ai été lui dans une autre vie, et que je dois me le rappeler en le lisant, et en lisant les biographies sur lui.

Je sens que mes projets d'écriture vont redémarrer bientôt, et plus j'en apprends sur les écrivains, plus je trouve que je n'ai jamais eu aucune raison sérieuse d'arrêter.

Pour finir, le Traité des premiers principes de Damascius est la vraie religion. Et j'ai arrêté de «parler» au travail, c'est-à-dire que je n'amorçe plus les discussions et que je me limite fortement, afin d'éviter toute «argumentation», qui se termine d'ailleurs toujours mal. Je veux conserver mon travail cette fois-ci, donc je dois apprendre, sagement, à la fermer. D'autant plus que cela me procure encore davantage de réflexions. Vive le silence! Vive la crisse de solitude! Qu'on se mette à parler ou non, on finit dans la solitude: si on parle on finit par s'embrouiller, car il est impossible d'être d'accord sur tous les sujets (et plus souvent encore sur un sujet pourtant d'intérêt commun), et si on ne parle pas, on vit immédiatement la solitude, alors on n'en sort jamais. Aussi bien accepter le silence et la solitude comme inévitables. Je dirais même qu'on devrait arriver à cette conclusion encore plus vite aujourd'hui, puisque tout va aussi plus vite. Je dois de même arrêter de me plaindre, puisque toutes ces choses sont inévitables, et quand même, pas si mauvaises que ça après tout. Ça me permet de me retrouver face au monde et à la nature, et même, face à ma propre vie sur cette terre, et de dialoguer avec ces nouveaux amis peu volubiles.