Pages

«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mardi 7 juin 2016

Le camion à ordures

Avez-vous déjà remarqué à quel point le camion à ordures sent presque toujours la même affaire, peu importe ce qu'on met dedans?

C'est ce qui m'est venu à l'esprit tantôt, alors que le camion passait dans ma rue.

J'ai reconnu là l'odeur des conteneurs que je déplaçais le matin quand j'avais seize ans et que j'étais concierge de mon immeuble de treize étages.

Au début, le nez sensible, comme tout jeune de mon âge, je trouvais que ça sentait mauvais. Puis, je m'y suis habitué, et l'odeur caractéristique des conteneurs s'est fondue dans un ensemble particulier d'images, de tâches, de moments, de pensées, pour devenir «rassurante».

Oui, cette odeur que tout le monde trouve puante était devenue pour moi rassurante, je ne saurais comment l'expliquer.

Elle me rappelait la routine du matin, le concret, et me faisait aimer encore davantage, comme par un effet de repoussoir, les autres choses de la vie, qui ne «puent» pas.

Ainsi, quand j'arrivais à l'air frais, quelle joie, quel bonheur! Comme si je n'avais jamais respiré d'air frais de ma vie!

L'environnement dans lequel je travaillais tôt le matin contrastait fortement avec l'extérieur où je devais emmener les conteneurs.

J'arrivais dans la pièce de l'incinérateur vers cinq heures du matin, sous l'éclairage aliénant des néons. Souvent, le conteneur en place était déjà complètement rempli, et les ordures s'accumulaient jusqu'au premier étage de la chute. À ce moment-là, c'était l'enfer, surtout quand il y avait de la litière pour chat ou des couches. Je devais détacher le conteneur, puis toutes les poubelles tombaient. Souvent, je devais forcer pour aller débloquer les poubelles plus haut dans la chute. Ça me tombait pas mal dessus, et ça empestait. Je trouvais toujours cette tâche vraiment dégueulasse et répugnante. Avant de pouvoir ramasser les ordures à la pelle, je devais enlever le conteneur en place, qui était plein, pour en mettre un autre, vide. Je trouvais tout cela absurde, je me souviens.

Je me disais: «Pourquoi un être humain doit-il s'exposer à autant de merde?»

Les sacs étaient percés, explosés, réduits en bouillie; je marchais dans la litière à chat et toutes sortes de décombres, une espèce de jus de légumes pourris me coulait dessus d'en haut et se répandait partout, ça réveillait raide.

C'était la tâche la plus ingrate de mon emploi de concierge, mais j'aimais beaucoup d'autres choses dans mon emploi, ça compensait.

Si j'ai écrit tout ça, c'était juste pour vous dire que maintenant j'aime pleinement cette odeur de vidanges.

J'ai juste essayé d'expliquer pourquoi, mais ça me semble encore bizarre quand même, même à moi-même.

L'être humain est un être bizarre.

8 commentaires:

  1. Mystères de l ' infini -
    Les odeurs de merde nous renseignent sur notre bonne santé - ou pas -
    Sur celle de l ' autre -
    Les animaux se reniflent le cul -
    Une putréfaction juste est une bonne odeur -
    D ' autres odeurs de putréfactions peuvent ne pas nous convenir -
    Je ne veux pas dire qu ' aucune putréfaction soit du côté de la vie - mais ça fait partie du package -
    Et tant-mieux !
    La nature ne réussit plus à nous assumer - peut-être parce qu ' il est temps que nous l ' assumions -

    RépondreEffacer
    Réponses
    1. J'arrive enfin à décoder ton écriture! Ça fait du bien! :D

      Effacer
  2. Pour surenchérir, j'ai des souvenirs olfactifs intenses reliés à mes emplois précédents. Je me rappelle les odeurs trop humaines de l'hôpital: le pus, le vomi, la merde, l'urine qui sent l'ammoniac... Rien pour battre la buanderie où j'ai travaillé seul, de nuit, pendant un an. Une chute à linge reliait les trois étages au rez-de-chaussée, où se situait la buanderie. Cette chute à linge était comme un gros intestin puant qui chiait jusqu'à cent sacs verts remplis de couches, de piqués et d'excréments. Je ne triais pas les sacs. Je vidais le contenu, tel qu'il s'y trouvait, dans d'énormes machines à laver frontales. Un savon ultrapuissant se chargeait de désintégrer les étrons qui flottaient parmi les draps souillés... Mince consolation: je pouvais écouter la radio toute la nuit, dont Saturday Night Blues, à CBC-Radio, et Rock and Rold Oldies au 990 de la bande AM... J'avais même du temps pour lire Nietzsche entre deux brassées... Autre job puante: nettoyer les contenants à poulet du réfrigérateur d'une boucherie... Je crois qu'il n'y a pas de viande plus pante que le poulet défraîchi... J'y repense et ça me soulève encore l'estomac, bien que j'aie travaillé pendant 4 ans dans les soins de santé...

    RépondreEffacer
    Réponses
    1. Grosse expérience en puanteur... J'avoue qu'il y a pas mal pire que mes conteneurs et mes chutes à déchets bloquées. :D

      Dans la même veine des déchets, voici un documentaire que j'ai découvert dernièrement: «Après Hitler» https://www.youtube.com/watch?v=zowpd2o674w

      Une histoire que l'on connaît beaucoup moins, car c'est sur ce qui est arrivé après la guerre, aux Allemands, entre autres: ils sont devenus les déchets de toute l'Europe, on les a parqué dans les trains des Juifs, et à Auschwitz aussi. La vengeance fut incroyable! 2 millions d'Allemandes ont été violées par les armées alliées.

      Ce documentaire est en deux parties, mais la deuxième est moins intéressante (et n'est pas sur YouTube, je crois), et la première vaut la peine d'être vue pour elle-même. En tous cas, moi j'ai appris beaucoup de choses en l'écoutant. Je l'ai découvert sur Radio-Canada en premier.

      Effacer
    2. La guerre comme l'après-guerre ne montrent pas le meilleur côté de l'homme. Des innocents, de part et d'autres, paient toujours pour les conneries des dictateurs. La mort de Hitler fût trop douce.

      Effacer
  3. C'est pas compliqué, je suis en train de l'écouter pour une troisième fois!

    RépondreEffacer
  4. Dans le documentaire, un colonel anglais confie: «Nous avons tendance à regarder l'Allemagne occupée comme une poubelle de capacité illimitée, susceptible de recevoir les déchets du monde entier.» 1:04:19

    RépondreEffacer
  5. @Eremita -
    Merci pour ton message -
    Heureux que tu comprennes mon langage un peu tortueux -

    RépondreEffacer