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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

dimanche 29 août 2021

Le bonhomme IKEA

Le «riche» en argent, c'est celui dont les moyens financiers dépassent de beaucoup ce dont il a réellement besoin pour bien vivre. Il a le choix de continuer à travailler ou non, et s'il est héritier, il ne sait pas ce qu'est le travail salarié et ne le saura jamais.

Le «pauvre» en argent, c'est celui dont les moyens financiers sont insuffisants pour bien vivre, et donc, il «survit».

Le «petit-bourgeois», c'est celui dont les moyens financiers sont suffisants pour bien vivre, mais il doit continuer à travailler pour perpétuer cet état ou l'améliorer, et à moins de devenir «riche», il ne peut pas faire le choix d'arrêter de travailler.

Un fait que nous voyons couramment: le riche a les moyens de ne plus travailler, mais souvent, il travaille quand même. Prenons l'exemple de feu Kamprad, le propriétaire d'IKEA et dont l'initiale du nom apparaît dans le nom de son entreprise qui est un acronyme. Kamprad n'avait plus besoin de travailler, mais il travaillait encore à 90 ans. Il conduisait une Volvo, habitait dans sa petite bourgade natale au premier étage d'une grande maison en pierre qui était loin d'être un château, allait comme tout le monde faire ses emplettes à l'épicerie du coin et parler avec les gens ordinaires, bref, c'était un homme simple et capable d'avoir l'estime de tout le monde.

Tout cela surprend, car l'on se dit que son intention à lui en devenant riche, ce n'était pas finalement de s'éclater dans une fête permanente, de conduire des bagnoles hypersportives, de vivre dans des châteaux luxueux à travers le monde, de se prendre tous les mannequins... Il aurait pu oui, et facilement avec ses 30 milliards, mais il ne l'a pas fait à ce qu'il semble. L'ancien vendeur d'allumettes et de lames de rasoir n'a donc pas cédé à la tentation, et cela vient chercher notre admiration, et calmer notre envie. Qu'on ne se méprenne pas ici, je ne suis pas venu faire l'éloge du travail et de la simplicité.

Certains riches se réclament philosophiquement de Sénèque, parce qu'il était milliardaire à son époque, mais vivait simplement, comme notre Kamprad justement. Mais je commence à déceler quelque chose qui va de travers là-dedans...

En effet, et prenons un exemple extrême: il serait beaucoup plus facile à n'importe quel nouvel itinérant de rester un moment de plus dans la rue, s'il savait en secret que soudainement, il est très riche. Ce qui fait la différence entre lui et un «vrai» itinérant, c'est qu'il sait lui qu'à tout moment il a le POUVOIR de faire arrêter le cauchemar, et cela seulement constitue une forme d'encouragement incroyable qui lui redonne toutes les forces qu'il n'avait plus lorsqu'il était abattu par la misère. Oui, cela fait une grande différence morale, car il a maintenant retrouvé l'«espoir».

Les êtres humains sont très «rusés», et se dissimulent constamment à eux-mêmes et aux autres les véritables motifs derrière leurs actions. Si on regarde seulement la façade, on trouve ça bien un riche qui vit presque comme un petit-bourgeois et qui continue de travailler, mais n'est-ce pas l'intention du riche en question de vouloir bien paraître aux yeux de la majorité? D'être approuvé par tout le monde pour sa pose vertueuse? De montrer qu'il ne se gonfle pas tant de son «pouvoir» au fond, ou surtout, de montrer qu'il ne cédera pas aux tentations du pouvoir et du luxe, pour que les petits-bourgeois continuent d'acheter son toc?

En fait, si je suis riche, j'ai le choix de vivre comme je l'entends, mais je dois conserver mon magot quelque part et ma carte bancaire, et c'est tout. À la limite, je pourrais vivre presque dans la rue si ça me chantait, à condition que personne ne l'apprenne, car à ce moment-là, je me ferais détester par tout le monde, et en premier, par ceux qui vivent la vraie misère. On lui crierait par la tête: «Pourquoi tu ne nous donnes pas ton argent connard, puisque visiblement tu n'en as pas besoin?» Et pourquoi on enragerait de voir un riche faire ça, de «jouer» hypocritement à l'itinérant? Parce que c'est comme s'il venait nous dire en plein visage qu'il est correct de vivre ainsi, dans la merde, alors que nous savons tous que ça ne l'est pas.

Il n'est pas correct non plus de vivre comme salarié toute sa vie et de passer son temps à courir après sa queue, mais si le riche travaille lui aussi, ça vient un peu annuler la charge contre lui, et ce dernier sait qu'il en a besoin. Il préférera toujours donner un peu de lest, et conserver le nécessaire à sa liberté, car c'est au fond son trésor le plus précieux.

Prenons l'exemple d'une grande île autosuffisante, c'est-à-dire, qui n'a pas besoin d'importations. Si tous les citoyens de l'île sont également riches, ils devront importer des travailleurs pauvres ou petits-bourgeois de l'extérieur pour faire les besognes nécessaires à leur survie, autrement, ils auraient à se retrousser les manches et à tout faire eux-mêmes, alors à quoi rimerait cette richesse? Et s'il n'y avait plus de pauvres ou de petits-bourgeois à l'extérieur, les habitants de l'île ne pourraient plus vivre comme des riches ni avoir la considération que les autres ont normalement envers les riches: ils redeviendraient des gens ordinaires soumis aux mêmes vicissitudes que tous. C'est ça la différence de «pouvoir» entre les riches et les non-riches. Le pouvoir que confère l'argent se trouverait complètement annulé et on dirait aux riches de se servir de leurs billets de banque comme de papier de toilette.

Au fond, ce qui fait la vraie différence entre le riche et les autres, ce n'est pas directement la quantité d'argent qu'il a dans son compte en banque, mais la liberté de pouvoir passer en apparence dans n'importe quel état et d'en sortir. Autrement dit, la vraie richesse du riche c'est la «liberté», et aussi la liberté de pouvoir faire ce qu'il veut de sa liberté, sauf de la perdre pour de bon. Ainsi donc, s'il veut travailler, il peut le faire; s'il veut vivre simplement, il peut le faire aussi, mais il ne sera jamais obligé de travailler ni de vivre simplement s'il y a alentour de lui des gens qui, eux, y sont obligés. Autrement, pour arriver à une vraie solution qui puisse mettre fin progressivement à cette situation, il faut remplacer les «esclaves humains» par des machines, autrement dit, il faut tout automatiser le plus possible, et avoir recours massivement à l'intelligence artificielle.

Quant à savoir si c'est une bonne chose que la masse soit meublée avec du toc, c'est-à-dire, de meubles faits de planches composées de «particules de bois» collées sur lesquelles on a collé un «papier décor» qui est une image de bois, c'est une autre question. Kamprad était un homme simple, et même s'il avait eu des meubles IKEA chez lui, il aurait eu aussi le choix, à tout le moins, de ne pas en avoir, et de se meubler plutôt avec des meubles plein bois.

Et si vous trouvez que c'est ça l'avenir du monde de vivre dans du toc et toujours plus de toc, vous avez peut-être raison, car les ressources sont limitées, mais qu'arriverait-il si demain on pouvait fabriquer du «vrai bois» de façon synthétique?

Car, au fond, cela demande beaucoup d'intelligence et d'astuce pour réussir dans le commerce, et cela est intéressant parce que ça représente un grand défi, mais lorsque ce «jeu» capitaliste pénalise l'humanité entière, ce n'est plus un jeu, et surtout, ce n'est pas juste. Le talent de pouvoir donner aux gens l'impression qu'ils font une «bonne affaire» pour s'approprier un pouvoir, le maintenir et l'augmenter, c'est-à-dire en «externalisant les coûts» sur les consommateurs et les citoyens en général, en donnant l'apparence de la qualité, etc., n'est pas louable, et ne le sera jamais. Cela ne restera toujours qu'un talent pour la tromperie, afin de perpétuer une classe de «travailleurs» sans loisirs, au service d'une classe d'«oisifs» qui se mêlent de travailler.

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