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«Je n'ai qu'une passion: celle qui me permet d'être libre sous le joug, content dans la peine, riche dans la nécessité et vivant dans la mort.» Giordano Bruno

mercredi 24 août 2016

Mon premier article

Bonjour, voici mon nouveau blog.

mardi 9 août 2016

Vertige

j'ai un vertige en pensant à toutes les vies que je suis en train de manquer
           ma pensée explose dans toutes les directions
                           tous les lieux réels ou imaginables ou impossibles

ces vies que je ne peux pas rejoindre
  qui sont là
à ma portée
                  mais inatteignables

ces vies infinies qui ne sont pas moi
     moi qui ne suis pas ma vie
             moi qui ne suis pas moi

qui veut être tout à la fois

ces vies dont je rêve un instant
                sans pouvoir les vivre, les toucher, les goûter
   sans pouvoir les aimer, les rêver, m'imaginer en elles ailleurs
dans une autre vie ailleurs
                                                  toujours ailleurs

nulle part



lundi 8 août 2016

Critique et non critique

Les gens ne sont pas des punching-bags, ni des objets statiques, non-vivants. C'est-à-dire, qu'ils peuvent te répondre, se justifier, te faire voir des nuances, te donner tort: autrement dit, ils peuvent «frapper» en retour.

Il est toujours facile de juger quelqu'un, par exemple, un gardien de prison. On peut bien penser que ce qu'il fait est «lâche», «sans cœur», que c'est un «chien», etc., mais qu'arrive-t-il si le gardien de prison est critique par rapport à son travail? c'est-à-dire qu'il n'est pas d'accord avec un paquet d'affaires sur son travail? Ne devient-il pas alors plus dur à lyncher? -Pas mal, en effet, oui.

C'est toute la différence entre une personne critique et une autre non critique. C'est aussi la différence entre un être humain, «vivant», et un robot.

Dès lors qu'un «méchant» devient critique sur ce qu'il fait, il n'est plus si méchant qu'il devrait être.

C'est en même temps une énigme...

La critique sincère est souvent le seul moyen de se racheter, elle désarme...

Elle met en évidence les rôles rigides que nous jouons ou essayons de jouer, et qui ne sont pas faits pour des êtres, comme nous, de sang et de chair, des êtres «mous», dans un monde froid de science «dure».

Sans solution

Je me suis acharné à résoudre un problème «sans solution» pendant plusieurs années...

C'est hier que ça m'est tombé dessus. J'ai pensé: «C'est comme un Rubik Cube que t'essaies de faire, et un malin génie s'amuse au fur et à mesure à placer les pièces de façon à ce que le cube ne soit pas résolvable». Comme quand tu prends un cube fait, enlèves des pièces et les replaces pas où elles doivent aller, il est évident qu'après avoir mélangé le cube, personne ne pourra le faire. Celui qui sait comment faire le cube, se rendra compte de la supercherie, mais il est possible que celui qui ne sait pas le faire ne se rende jamais compte qu'il est impossible à faire, et qu'il n'a donc pas de solution dans son état actuel.

Pour ma part, j'ai pris du temps à voir que ce problème n'avait pas de solution. Parce que c'était un problème nouveau pour moi. Pourtant, on me disait qu'il y avait une solution...

Je parle du harcèlement au travail.

On me disait: plains-toi au syndicat, fais une plainte de harcèlement, va-t’en en maladie, le psychologue me disait d'aller voir mon boss et de lui demander qu'on recommence à zéro, etc. Tout le monde me conseillait, mais personne ne savait vraiment quoi faire. Pour ma part, tout ce que j'envisageais c'était de casser la gueule de celui qui me harcelait, mais je n'étais pas prêt à retourner en prison. En fait, quand j'ai définitivement changé de vie, retourné aux études, cela était devenu définitivement hors de question.

J'essayais de calmer le jeu, mais rien à faire: mon harceleur voulait ma peau. Peu importe ce que je faisais, c'était jamais bon ou suffisant. J'ai vécu deux années de cet enfer. Bien sûr, je ne voulais pas, mais je ne pouvais pas rester là à me laisser faire: j'ai donc fait une plainte de harcèlement. Mais ça n'a rien donné, et ça m'a pris toutes mes énergies, en plus de me rendre malade et dépressif. Le syndicat essayait de me décourager, etc. Je voyais bien que personne n'était de mon côté, et je m'empêtrais dans la merde. Il n'y a pas de solution quand une personne en autorité sur toi te hait.

Il faut juste lâcher le morceau et foutre le camp: c'est la seule solution. Et c'est ce que j'ai fait.

Maintenant, avec tout le salissage de réputation qu'on m'a fait, je dois me trouver un autre métier. Tout ça c'est très difficile, et il y a des fois où je me lève et que j'ai envie de tout abandonner et de partir vivre dans la rue. Des fois où j'ai envie de dire un grand «À quoi bon?», et de tout foutre là et d'aller mourir dans un coin, dans le silence, dans l'anonymat le plus complet.

Certaines choses me rattachent encore à la vie, mais des fois je deviens aveugle, tellement je suis triste.

vendredi 5 août 2016

Il fait chaud dans le bull-pen

Savez-vous c'est quoi un bull-pen? -C'est l'endroit où on garde temporairement les prévenus en attendant qu'ils passent en cours, ou qu'ils soient assignés à une cellule. En général, c'est un local plutôt petit, surpopulé, sans grandes commodités, sans air climatisé, sans câlissement rien.

À Montréal, quand on te prend en pleine rue pour quelque chose, mettons que tu vends de la dope, tu t'en vas à la prison de Bonsecours, dans le Vieux-Montréal, dans le bâtiment de la cour municipale.

J'avais envie de vous parler du bull-pen, parce qu'en cette journée de chaleur intense, ça me rappelle de méchants souvenirs cuisants. Évidemment, fallait que je me fasse arrêter en pleine canicule. On m'emmène au poste de quartier. La cellule est pour une personne seule. Il y a un «lit», qui n'est en réalité qu'une plaque de métal fixée sur le mur, avec pas de draps, pas d'oreiller, et encore moins de matelas. Tu dors directement sur la plaque de métal. Si tu veux te faire un «oreiller», faut que tu prennes ton soulier, en espérant qu'il pue pas trop. T'as pas le choix si tu veux pas avoir un crisse de mal de tête, mais t'as crissement mal à la tête quand même à la fin. Et t'as mal partout aussi, les os se cassent, t'as l'impression d'être passé dans un broyeur après une nuit. Quand tu te lèves de ta plaque, c'est par étapes, il faut que tu replies ou déplies les morceaux, comme si ton corps était en pièces détachées. Les moindres mouvements deviennent douloureux. Quand tu veux faire tes besoins, t'as une bol en métal à côté du lit, et y a une caméra pointée sur la cellule à l'extérieur des barreaux. On te filme en train de chier, de te torcher, ils voient tout ce que tu fais. Il n'y a aucune intimité possible dans cette cellule. Rien non plus que tu peux détacher d'un objet quelconque, rien que tu peux lancer. Au fait, je crois que dans les cellules de poste, on garde tes souliers juste à l'extérieur de la cellule, parce que je me souviens maintenant, que j'ai essayé une fois de les atteindre, sans succès. J'ai alors dormi avec ma tête la plus droite possible sur la plaque, ou je me suis mis alors en petite boule, d'une façon ou d'une autre, y a aucune façon d'être confortable. J'ai oublié de dire qu'il ne fait jamais noir dans ces cellules, il y a toujours des gros néons d'allumés dans ta face, comme si t'étais sous observation à l’hôpital.

Je me souviens d'une fois, il y avait tout un raffut dans la place. Il est rare qu'on voie les autres détenus, on peut juste les entendre. Sauf au moment de prendre la photo d'identification, on peut voir un peu de monde, et en quittant le poste, dans la salle commune. À part ça, on les entend, et d'aplomb. Ça gueule en sacrament. Comme des diables. Il y a des fous là-dedans, des enragés, des saoulons, des comiques, des grandes gueules qui ne peuvent pas arrêter de se raconter des histoires, et il y a aussi, croyez-le ou non, des tourtereaux. Et bien cette fois-là, il y avait un gars qui était complètement hystérique, il venait d'arriver au poste avec sa blonde, et sa blonde aussi était complètement maboule, le poste était débordé juste avec ces deux-là. Ils devaient être saouls et gelés. Les deux hurlaient, se criaient des mots d'amour, protestaient, résistaient, les autres prisonniers leur criaient de se fermer la gueule, ça tapait partout, dans les murs, les barreaux, c'était un vrai bordel. Les deux se lamentaient tellement, qu'on pensait qu'ils étaient en train de mourir. Finalement, on n'a jamais rien vu, mais au bout d'une heure de raffut total, on a su qu'ils avaient été emmenés chacun dans des cellules d'isolement padées, attachés chacun au sol de leur côté. Ce fut le silence après ça. On entendait les prisonniers soupirer de soulagement. J'ai pu dormir un peu. Pour les repas, c'est pas souvent, pis c'est toujours des ostis de sandwichs au baloney. Je suis revenu à dix ans d'intervalle, et c'était toujours encore les mêmes ostis de sandwichs au baloney.

Après la photo, sur laquelle tout le monde à toujours l'air d'un criminel de Photo-Police (c'est fait exprès, on me l'a dit), c'est pas fini, le plaisir fait juste commencer, on t'emmène à Bonsecours. En ce qui concerne la photo, le fait que t'as toujours l'air d'un criminel dessus est facilement explicable après tout: les conditions dans lesquelles on t'as détenu, ça te décâlisse pas à peu près, pis t'as envie de tuer tout le monde après ça: A + B = que ça fait que t'as donc l'air, oui, d'un «vrai» criminel. C'est quasiment arrangé avec le gars des vues.

Avant d'arriver à Bonsecours, faut que tu fasses ta ride obligatoire dans toute la ville. On te promène dans un camion genre à journaux, mais renforcé, avec des grilles et des locks bien sûr. On te menotte en général avec quelqu'un d'autre, au hasard. L'espace est très petit dans le camion, faut pas souffrir de claustrophobie. Mais peu importe, tu viens à paniquer quand même dans ces maudits camions. Premièrement, il fait noir, t'as pas d'air, pas de place, et tu te dis que si le camion fait un accident et se renverse, tu vas mourir dedans. C'est vraiment angoissant. Ça l'est pas tellement au début, mais quand ça fait une heure ou deux que t'es dedans, tu commences à capoter. Il y a toujours un gars pour essayer de nous dire où on est rendus dans la ville et où on s'en va probablement, il fait ça en regardant au travers de petites craques dans le grillage arrière. Les gars se parlent, y en a qui te demandent qu'est-ce que t'as fait, il faut se prêter au jeu, les gars veulent se sizer. La plupart sont là pour violence conjugale, souvent une prise de bec avec la blonde, ou pour drogue. C'est pour ça que je disais que 80% de la population carcérale est là pour des choses vraiment mineures. Aux États-Unis ils pensent en ce moment commuer les sentences des peines pour drogue: il y a trop de monde pour rien en prison. On devrait faire pareil, au lieu de construire toujours plus de prisons inutiles, «qui sont faites pour qu'on y retourne», comme a déjà dit Michel Foucault. La prison créée carrément une clientèle de criminels, car elle stigmatise, ou encore elle empire ceux qui le sont déjà.

Pensons-y: en quoi enfermer un consommateur peut-il l'aider? C'est tout le contraire que ça fait, ça l'avilit, ça le fout encore plus en boule. Ça lui enlève ses défenses. Ça lui enlève la possibilité de faire un choix volontaire. Bien entendu, la prison peut te faire arrêter de consommer, mais c'est très rare. En général, même les thérapies connaissent des rechutes à 95%. Moi-même je suis allé en thérapie, et quand j'ai vu ceux qui étaient à la fin de la thérapie et qui allaient partir bientôt se demander s'ils allaient pouvoir résister à la tentation une fois rendus en ville, j'ai pas attendu longtemps, on me voyait le lendemain faire du pouce sur l'autoroute pour m'en revenir en ville, justement. J'ai rejoint ma pute dans mon ancienne chambre d'hôtel et on a fumé du crack. Je suis parti, car je ne croyais plus à l'efficacité de la thérapie. D'ailleurs, pas longtemps après, je vois une décapotable passer sur Sainte-Catherine avec deux gars et des filles en fête à bord: il y avait un gars assis sur le dessus du banc arrière, entouré des filles, c'était le directeur de la thérapie avec un ami et des filles de joie: il était en rechute de coke d'aplomb, et semblait en être très content. C'est la preuve que des fois ça sert à rien, vaut mieux se laisser aller. Faut que l'histoire continue son chemin, on peut pas décider à la place de la nature.

Pour revenir au camion, quand on te sort de là, paradoxalement, t'es content d'arriver en prison... Ça fait drôle à dire, mais c'est vrai, je me souviens d'avoir éprouvé ce soulagement, «ah! enfin on est à la prison!». Câlisse... Le plaisir fait juste commencer. On t'emmène dans la salle commune de Bonsecours. Encore les gros néons, aucune intimité pour chier, et en plus on est plusieurs dans l'endroit. Moi j'avais envie, mais j'ai jamais été capable d'aller chier devant trente personnes. Un gars a osé le faire, et on pouvait le voir se torcher et tout. Moi pas capable. Je suis resté couché sur les «bancs» en bois fixés aux murs tout le tour de la salle. D'ailleurs, tout le monde vient à se coucher sur ces planches de bois bien durs, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire, et que c'est vraiment long. Si t'arrives un mercredi, t'es stressé, parce que si tu ne passes pas vendredi matin en cour, tu restes là toute la fin de semaine: les salles de procès sont fermées la fin de semaine.

Et là c'est pas un cadeau. Je ne crois pas avoir eu cette malchance. Mais rendu le soir, on te transfère de la salle commune, où on t'a fait manger des grosses sandwichs au baloney toute la journée, au bull-pen de Bonsecours, où tu passeras la nuit. Pour plus de précision sur les repas, en général, on mange toujours la même chose, avec peu de variété, genre la seule c'est pain blanc ou pain brun, ou un choix de liqueur, mais le menu c'est une sandwich au baloney, un biscuit à l'avoine et une liqueur, c'est tout, deux fois par jour, en plus d'un petit déjeuner assez mauvais. Rendu le soir, on t'enferme dans un local rectangulaire étroit qui sent le vieux ciment, avec des cellules à barreaux chaque côté. C'est des cellules qui font penser à celles qu'on voit dans les films westerns. Les conditions sont vraiment misérables.

Dans mon étroite cellule, j'avais le privilège d'être le premier arrivé, j'avais donc le «lit», c'est-à-dire, une sorte de planche de plywood nue fixée au mur. Deux autres gars se sont joints à moi au fil du temps, ce qui n'est pas normal. Ils ont été obligés de dormir sur le plancher sale, collés sur la toilette et les flaques de pisse séchées à terre. On nous laissait nos souliers, ce qui nous permettait de nous faire des «oreillers confortables», tout un luxe dans ce genre d'endroit.

La particularité de cette fois-ci, c'est je m'en souviens, que c'était canicule. En plus d'être en surpopulation, il faisait très chaud. Je me souviens, on allait au lavabo s'asperger d'eau à tour de rôle, en bedaine. On se mouillait la face et le haut du corps. Rien pour aider, il y avait un puits de lumière qui tapait en plein au centre de la pièce tout son soleil possible. Je me souviens de ce maudit puits. On crevait comme des crisses de fous là-dedans. On le disait aux gardes qu'on asphyxiait, mais ils ne pouvaient rien faire. Vous comprenez maintenant pourquoi on veut passer en cour le plus vite possible, et qu'on en finisse.

Dans la salle commune, dans laquelle on nous ramène l'après-midi parfois, il y avait du nouveau monde. Je me souviens d'une gang de jeunes début vingtaine. Des calottes. Y en un qui avait l'air inquiet. Il cherchait à parler à sa famille. Sans crier gare, il me raconte en détail ce qu'il a fait, parce qu'il veut savoir ce qu'il risque, selon moi: lui et ses amis sont rentrés chez un gars de force pour lui casser la gueule. Les policiers les ont arrêtés en pleine rue, et ont bien pris soin de les immobiliser dans de la crotte de chien, crotte que le gars qui me parlait avait d'ailleurs encore sur lui, sans pouvoir s'en débarrasser. Il avait la marde au cul, mais pas dans le bon sens. Il me demande qu'est-ce qu'il risque, encore tout excité de son règlement de compte, j'écarquille les yeux de stupéfaction par la description détaillée de ses actes, comme si chaque détail venait ajouter chacun une année supplémentaire de prison, puis je lui dis que «c'est très grave» ce qu'il a fait, il risque 4-5 ans de prison... Crisse, le gars s'est mis à pleurer... Il est parti en courant pour appeler sa famille. Je ne l'ai pas revu par la suite, mais je suis sûr qu'il s'est pris au minimum 1-2 ans de prison ferme, s'il n'a aucun antécédent, et s'il est mal défendu, peut-être 4-5 ans. Il avait agi vraiment de façon impulsive. La prison ça aide à calmer l'impulsivité, dans mon cas, j'étais très impulsif, ça m'a aidé pour ça. J'ai pas eu besoin de gros temps, pas du tout, mais je ne sais pas quel genre d'effet ça fait sur ces jeunes qui font des conneries importantes... Je ne sais pas si ça les aide au bout du compte... Ils sont facilement recrutables, facilement influençables, facilement intimidables, facilement avilissables... facilement sans espoir... J'ai bien vu que ce gars-là était encore un enfant au-dedans, et qu'il n'assumait pas ce qu'il avait fait... C'était pas quelque chose qu'il voulait vraiment, il ne faisait peut-être que suivre la gang, encouragé probablement à prouver qu'il était un «homme»...

Finalement, j'ai passé en cours le lendemain, tout s'est passé assez vite pour moi, j'ai été chanceux. On m'a réglé mon compte en cour, puis je suis parti pour la prison à sécurité maximum de Rivière-des-Prairies. On s'est encore fait trimbaler pendant des heures en camion renforcé, mais il y avait une différence cette fois-ci: on était avec des filles... Le camion avait deux compartiments, l'autre contenait les filles, des prostituées de bordel probablement, ou des filles de salon de massage, car elles étaient belles et sexy pour la plupart. Moi j'étais avec une gang de paumés de mon bord, et surtout le gars auquel j'étais attaché, il n'avait aucun respect pour mon poignet, il tirait sur les menottes comme un bon pour aller voir les filles au travers du hublot près de l'avant du camion. Je ne sais pas pourquoi les services correctionnels ont installé ce hublot qui permet de voir l'autre compartiment en partie, j'imagine que c'était pour satisfaire les gars, ou pour s'amuser de les voir s'exciter à la vue de femmes qu'ils ne pourront pas toucher. Toujours est-il que mon partenaire en menottes me tirait sur le poignet pour une bonne raison: les gars encourageaient les filles à montrer leurs seins dans la paroi, et y a une fille qui a décidé de le faire... Crisse, t'as pas vu l'excitation dans le camion, les gars étaient hystériques pour voir ça! Ça se massait autour du hublot, mais moi j'ai rien pu voir parce que mon gars me cachait la vue tellement il était excité et qu'il ne pensait qu'à lui-même. Cependant, je suis presque tombé en amour avec une des filles de l'autre bord quand on s'est mis à se regarder et à se parler du regard... Elle avait le visage doux, de la poésie sortait de ses yeux... À l'extérieur du camion, arrivé à destination, je comptais lui parler, lui donner rendez-vous à sa sortie de prison, faire ma vie avec elle, mais je n'ai pas osé ouvrir la bouche dans le line-up, j'avais trop mauvaise haleine, et je n'étais pas sûr qu'un contact s'était vraiment établi. C'est un autre inconvénient de la captivité avant d'arriver en prison: tout le monde pue de la gueule, et pue même en général, parce qu'on ne peut ni se laver, se changer ou se brosser les dents. Imaginez après plusieurs jours de canicule... C'est l'enfer. C'est là qu'on voie vraiment à quel point l'être humain est un être puant sans tous ses artefacts odorifiques.

Je suis donc rentré à Rivière-des-Prairies sans pouvoir parler à cette belle fille, qui avait l'air sérieuse, à part de faire des affaires «illégales», on aurait pu s'en sortir ensemble, mais je ne l'ai pas fait, et j'y pense encore aujourd'hui. J'essaie parfois de me rappeler son visage, et son allure générale, calme, noble. Mais c'est peut-être tant mieux au bout du compte, mon instinct me guidait peut-être en me disant que les unions entre fuckés ne sont peut-être pas une bonne idée après tout. C'est certain que je serais trop tombé en amour, et que je serais devenu fou. Ajoutez à cela la drogue et la jalousie, parce que la fille fait des choses avec des «clients», et v'là un cocktail pour m'envoyer à la morgue. J'en voulais pas, ou j'en voulais plus. J'envisageais autre chose, et je commençais à voir la lumière au bout du monde interlope.

Une fois à Rivière-des-Prairies, il y avait surpopulation. Nous avons donc dormi dans un local directement par terre, les néons dans la face, cordés comme des sardines, tête à pieds, en alternance. De chaque côté de moi, j'avais des pieds de gars dans la face, et eux, ils avaient mes pieds. J'arrivais pas à le croire qu'on était rendu là. Maintenant on priait pour avoir une cellule! Câlisse... Le lendemain, on nous a mis dans un bull-pen avant de partir en cellule, mais on nous disait qu'il manquait toujours de place... et qu'on aurait peut-être pas de cellule tout de suite... Les gars se racontaient leurs mésaventures avec leur blonde, c'était drôle en crisse. Il y a toujours des gars qui ont le tour de raconter des histoires drôles en prison, des gars qui sont crissement drôles, ils font rire tout le monde à en pisser! Évidemment, la plupart des gars étaient là pour «violence conjugale», une expression qui fait peur, et c'est l'intention, mais une simple engueulade corsée avec une conjointe peut te faire aboutir en prison pour «violence conjugale». Mettons que tu pètes un plomb en t'ostinant avec ta blonde et que tu lances la manette dans le téléviseur, tu t'en viens avec nous autres, la gang de RDP. On va se raconter nos histoires, pis on va rire ensemble de notre impulsivité.

Je me souviens, dans ce temps-là il n'y avait pas de réglementation sur le tabac en prison: tout le monde pouvait fumer comme des cheminées. Eh bien, il y avait un gars, un Turc je crois, mais pas seulement lui, qui faisait du chain-smoking. C'était affreux. En plus d'être dans ce petit local, cordés en sardines, on était emboucanés au point qu'on ne se voyait plus... Le gars qui fumait de même, il nous a raconté son histoire: il avait voulu offrir des fleurs à sa blonde, mais le magasin était fermé... Il était bien saoul, il a alors décidé de casser la vitrine et de prendre les fleurs qui se trouvaient là... La police lui a mis la main dessus, ils l'ont menotté et enfermé dans le véhicule, mais le gars, on s'en doute, complètement impulsif et hystérique, s'est mis à défoncer les vitres de la voiture de police à pieds joints... On le trouvait drôle lui, et sympathique, car il avait vraiment fait ça par amour, mais bon, c'était un peu exagéré disons. Disons qu'il a drôlement empiré son cas en s'en prenant aux policiers. De plus, il était camionneur, il a dû sûrement perdre son boulot... Des fois on se demande où vont aboutir les gens avec toutes les conséquences graves d'un geste par lui-même pas si grave... Mais bon... Sa vie a peut-être empiré, en tous cas sûrement sur le coup, mais on sait pas pour la suite. Ces choses nous suivent longtemps, et on s'assure de bien nous stigmatiser pour pas grand-chose.

Quand je suis finalement arrivé à l'entrée des cellules, j'en croyais pas mes yeux... J'étais devant l'anarchie la plus totale: il y avait vraiment beaucoup de monde au pied carré, comme une foule de spectacle, et c'était pour la plupart des jeunes de gangs de rue à l'air comploteur, vraiment allumés et actifs dans leur rôle de criminels... J'ai eu peur, car dix ans auparavant, j'étais allé dans ce même bloc: c'était un endroit parfaitement calme, avec, pour la plupart, des Québécois pure laine, et on était vraiment peu nombreux, il y avait beaucoup de place. Ces jeunes étaient en grande majorité des Noirs et des Latinos: ça allait mal tourner si je restais. Je suis rentré rapidement dans ma cellule avec un autre gars, je ne voulais pas rester dans cette jungle, puis il fallait aussi que je voie l'état des lieux dans ma cellule: c'était horrible: il y avait des draps sales partout, des restants de bouffe, des assiettes sales, des graffitis noirs partout sur les murs faits avec un lighter, des poils, des cheveux, et quoi encore... Absolument tout était sale. Et c'est là que j'ai compris qu'une prison aujourd'hui, ça se dégradait rapidement.

Ça a pris quinze minutes, et on m'appelait pour me faire sortir: j'étais libre... Et tellement content de l'être. Mon voisin de cellule m'enviait, il me trouvait vraiment chanceux, et je le comprenais. Quand j'étais allé là il y a dix ans, c'était une prison neuve et elle était très belle. On pouvait se promener dans les couloirs sans menottes, c'était comme magique. L'environnement extérieur en hiver: on entend parfois des biches passer dans la neige. Ça sentait le sapin, le bon air frais, et il y avait une atmosphère qui permettait de réfléchir, de se ressourcer, de faire des plans de vie pour ne plus avoir à se retrouver là. Je garde autant une belle impression de la première fois, qu'une très mauvaise impression de la deuxième. Mais c'est intéressant au point de vue sociologique, car c'est là qu'on constate que la population carcérale a changé, et qu'elle a entraîné avec elle la prison dans des conditions vraiment misérables, comme si tous ces jeunes, au lieu de vouloir s'en sortir, et de penser aux moyens de s'en sortir, ne pensaient qu'à se venger sur le milieu qui les enferme, en y amenant le désordre, ainsi que dans leur vie, comme s'ils aimaient ça, ou voulaient montrer qu'ils aiment ça, comme pour prouver que l'horreur ne leur fait pas peur, pour se prouver entre eux qu'ils sont des «hommes»...

mercredi 3 août 2016

Je ne suis pas un gars de jour

Je suis plein d'affaires, mais je ne suis pas souvent un gars de jour. Et quand je le suis, si c'est par moi-même, ce n'est jamais très longtemps, sinon c'est pour le travail. Dans le cadre d'un travail, ça ne me dérange pas de me lever tôt le matin, même que j'aime mieux ça, ça finit la journée plus tôt, et on est débarrassé. Mais je ne me sens quand même pas moi-même. Je ne suis pas à mon maximum on dirait. Car on ne peut être à son maximum que quand on se sent soi-même et qu'on fait quelque chose qui est tout à fait soi-même, et ça on le sait, c'est utopique encore aujourd'hui.

Néanmoins, j'ai trouvé le moyen d'être bien dans un métier. Je me suis finalement trouvé une vocation, dans la quarantaine. Je me suis remis dernièrement à la traduction, un métier que j'avais commencé il y a dix ans et que j'ai mis de côté pour aller travailler stupidement à la Ville, un emploi «solide» et payant, mais qui était loin d'être valorisant. J'avais mauvaise conscience de continuer à ne rien faire de bon à la Ville, dans cette «cage dorée» sans avenir, et je commençais à regretter d'avoir laissé ma carrière en plan, quelque chose que j'aimais vraiment faire et qui me stimulait beaucoup. Au moins je me sentais intelligent quand j'étais traducteur, tandis que je me sentais comme un gros cave inutile à la Ville, et c'est ce que je suis devenu aussi, avec tous ces innombrables supérieurs incompétents qui font chier à longueur de journée. On dirait tous qu'ils ont de la famille à la Ville, et que c'est uniquement à cause de ça qu'ils sont là. Je peux juste vous dire que j'ai vu le manège de près, et que c'est un osti de manège de mongoles. Essayez pas de débrouiller, c'est obscur comme la Cosa Nostra, même le syndicat est dans la magouille. T'apprends au fil du temps, qu'un tel c'est l'ex-mari de ta boss au syndicat, que l'autre, son ex-femme travaille à l'hôtel de Ville, que celle-là, sa fille travaille aussi à la Ville... Y a pas du tout de népotisme, non, non, non... Oui, oui, oui, c'est fini cette époque-là... Tout est clean astheure... Imaginez, j'étais rendu que je me saoulais la gueule tous les jours, j'avais commencé à fumer, je m'enlignais directement pour la morgue, et je m'en foutais, parce que je ne savais pas quoi faire pour m'en sortir, et ça m'a amené à la crise finale, la crise cardiaque. Ce fut pour moi le wake-up call, comme pour beaucoup quand ça arrive. J'ai quitté la Ville, vraiment un endroit de merde, où des petits cons incompétents jouent au Napoléon et ne se soucient de personne dans leur ambition de devenir ché pas quoi. Si t'as pas de famille ou de bons petits amis à la Ville ou au syndicat, va pas là, t'as pas de protection, ça va venir un jour de tous bords tous côtés. La Ville c'est la mafia. Le filage souvent ne paraît pas, mais t'inquiète pas, il est bien là en dessous, jusque chez les flics, et après, jusqu'au top. Tout est tellement bien connecté, qu'on ne sait plus où ça commence ni où ça finit. Quand t'as un chien baveux qui te tape dessus avec sa matraque, t'as vraiment n'importe qui qui te tape dessus avec sa matraque: ils n'ont en réalité aucun droit. L'uniforme ne sert qu'à nous contrôler et nous empêcher de leur sauter dessus et foutre le système à terre. Notre système, notre droit, ne sont pas plus légitimes que le système de Staline et sa gang. C'est ce que je pense aujourd'hui. Toute autorité est toujours usurpée. Ils veulent nous faire accroire qu'ils travaillent pour les gens, mais ils sont comme les journalistes qui veulent nous faire accroire qu'ils travaillent pour le public: il y a toujours des riches qui se cachent derrière.

J'ai été passer une échographie dernièrement pour savoir où en était rendu mon cœur, et je suis à 53%. Il y a un an, après la crise, j'étais à 43%. Un cœur normal c'est 55%. Bref, on m'a dit que j'étais revenu pratiquement à un cœur normal. Mais moi je le savais déjà, car j'ai poussé la machine depuis un an. J'ai vraiment fait exprès de me mettre dans des positions difficiles physiquement, genre je sors en bicycle par grosse canicule et je pédale de longues distances pendant toute la journée, un bon 9-10 heures de route. Bref, j'ai fait beaucoup de cardio depuis mon incident, et je me suis fait un point d'honneur à ne jamais marcher à côté de mon bicycle dans une côte. En fait, j'ai monté toutes les côtes les plus abruptes que j'ai rencontrées depuis un an. Et ce n'est pas que je ne les ai pas cherchées. J'adore monter une de ces salopes de côtes. Je me mets en première, et je me fous de casser mon bicycle, en plus, je reste assis le cul bien ferme sur mon banc, question de me faire souffrir un peu plus. J'ai envoyé tous mes médicaments pour le cœur à la poubelle, mon cardiologue a pété un câble. Il me menaçait de me renvoyer à mon médecin de famille, il ne voulait plus me soigner. Finalement, il m'a envoyé passer une batterie de tests, il pensait me ravoir dans ses rets, mais je ne fais pas de pression ni de cholestérol et mon cœur est super en forme, il ne m'a donc pas rappelé. Je pense qu'il va me laisser tranquille. De toute façon, c'est moi qui décide. Je vais pas continuer à prendre des médicaments dont je n'ai pas besoin, «juste en cas où». Je n'ai pas envie de me faire prendre en charge comme un petit enfant par ces connards de médecins à quarante-cinq ans seulement, et jamais, si c'est possible. Je tiens à ma liberté. Je vais toujours me battre contre ces gens intéressés qui cherchent toujours à nous faire prendre un paquet de pilules pour rien. C'est pas compliqué, si j'avais écouté tous les médecins que j'ai vus depuis ma vingtaine, mettons, je prendrais aujourd'hui des centaines de pilules, bref, je serais probablement mort, ou pas très fort. En tous cas, je serais très dépendant su système de santé. Je serais un gros boulet de médicaments. Il faudrait que je prenne cette petite pilule-ci, cette grosse pilule-là, cette autre pilule pour contrer les effets secondaires de celle-ci ou celle-là, comme un con. D'la marde, j'aime mieux crever en liberté. Ce qui m'a encore plus décidé dans mon point dernièrement, c'est que ma blonde a failli se faire tuer avec des antibiotiques. Elle n'avait qu'un petit bobo au dos au retour de ses vacances. Le médecin a pensé que c'était du zona, mais ce n'en était pas. Le problème c'est que c'était alors beaucoup trop puissant, un traitement beaucoup trop long, genre on tue une mouche avec un train, et surtout, que ça allait contre son médicament pour la sclérose en plaques. Bref, elle a failli mourir, elle n'a pas pu travailler pendant deux semaines. J'ai dit «bravo le médecin!», vraiment pas fort crisse. On voit qu'on est dans un système dans lequel on est tous des numéros. On est comme du bétail pour eux. Un médecin peut nous tuer aussi facilement qu'il remplit une ordonnance avec une écriture illisible. D'ailleurs, je crois que les erreurs médicales tuent plus de monde par année que le cancer. Incroyable. Je dérape peut-être, mais je sais que le nombre de victimes par année est assez significatif pour avoir une bonne raison d'avoir peur de faire partie des statistiques.

Pour revenir à mon sujet, je suis un gars de soir. Peut-être pas tout à fait de nuit complète. Mais j'aime le soir et la nuit. J'aime le jour aussi, beaucoup, mais c'est dur à supporter des fois. Il fait trop chaud, c'est trop clair, surtout l'été, ça ne se prête pas bien à la lecture ou l'écriture, ou même l'inspiration en général. Surtout quand je me lève entre 4 et 6 heures du matin, j'ai l'impression que la journée ne finit plus, qu'elle dure depuis déjà une éternité rendu à midi seulement. C'est alors que je fais une sieste.

Et cette sieste me remet sur le bon beat, comme en ce moment, je suis capable d'écrire. Ce qui arrive je crois, ce pourquoi je ne suis pas capable d'avoir un beat régulier, c'est que premièrement, évidemment, je n'ai pas de boulot, mais que surtout, j'aime trop la nuit. Le problème, et c'est torturant, c'est que j'aime veiller la nuit, mais que j'aime aussi beaucoup bien dormir la nuit, car ce n'est que la nuit que l'on dort le mieux. Ce qui arrive alors, c'est que je veille toujours plus tard, aimant la nuit, et que je dépasse l'heure à laquelle je devrais me coucher. Je la dépasse parce que la nuit est légère, j'ai comme une énergie infinie et des idées sans fin. Finalement je me retrouve encore debout à 6, 7, 8, 9-10 heures, et puis c'est fini, je viens de fucker mon beat. Quand je commence à me lever à 2 heures de l'aprem, je suis fatigué, épuisé, et ma nuit est pénible, je ne crée rien de valable, ça devient même long la nuit à un certain moment. Tellement long que j'ai envie de revenir de jour. Et voilà mon balancement sans fin. Je commence une bonne phase présentement. Quand je réussis à veiller jusqu'à 4-5 heures et me lever par la suite avant midi, ma vie est joie. Sinon ça va mal. Je me satisfais très bien de dormir un peu moins de 8 heures par jour, car étant un type nerveux, j'ai souvent de la difficulté à m'endormir la nuit. Je suis souvent obligé de me coucher seulement quand je suis très fatigué, sinon ça marche pas, les pensées tournent dans ma tête.

Bref, c'était ce que j'avais à raconter ce soir.